41 - « La société malade de la gestion » de Vincent de Gaulejac dans la collection Points Economie des Editions du Seuil

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Ce mois-ci je vais aborder un sujet difficile, ce que font peu de consultants RH et de coachs, via l’ouvrage percutant et riche du sociologue clinicien Vincent de Gaulejac « La société malade de la gestion », publié dans la collection Points Economie des Editions du Seuil.

Celui-ci y dénonce l’impact grandissant et destructeur que la priorité donnée à la gestion a connu ces dernières  années au sein des entreprises au détriment des aspects humains.

En page 43 l’auteur commence par planter le décor grâce à un petit historique  instructif :

« Trois phénomènes majeurs vont bouleverser le fonctionnement du capitalisme industriel à la fin du XXeme siècle :
-    les logiques de production sont de plus en plus soumises aux pressions des logiques financières
-    le poids des marchés et leur mondialisation remettent en question les modes de régulation économique dominés jusque là par l’Etat-Nation
-    la fusion des télécommunications et de l’informatique instaure la dictature du « temps réel »
(…)La temporalité du travail conduit à imposer des rythmes, des cadences, des ruptures qui s’éloignent du temps biologique, du temps des saisons, du temps de la vie humaine. »

Ne cherchons pas plus loin : une bonne part du mauvais stress présent dans de nombreuses entreprises vient de là ! Car deux réalités se heurtent de plein fouet : celle d’une rentabilité gestionnaire et celle d’un fonctionnement psycho-corporel. Or ce combat est absurde puisque l’homme s’asservit à du non humain, sans tenir compte de la spécificité de son essence paradoxale, à la fois limitée et transcendante.

Puis le sociologue poursuit plus loin : « Les évolutions technologiques pourraient libérer l’homme du travail. Elles semblent au contraire le mettre sous pression. Si elles allègent la pénibilité physique, elles accroissent la pression psychique (…) par le temps, par les résultats mais aussi par la peur, qui a des conséquences redoutables. Elle engendre des comportements d’addiction, un stress structurel, un sentiment de harcèlement contre lequel il est difficile de se défendre, et des souffrances que l’on cache, au risque, si elles sont exprimées de se retrouver sur la touche. »
En effet, dans le secret de mon cabinet parisien ou genevois, je traite au mieux chez mes clients – en tant que coach - et patients – en tant que relaxothérapeute - cette honte culpabilisante de ne jamais se sentir à la hauteur. Et chez certains hélas, celle-ci lamine l’estime de soi avec une rare efficacité... La plupart se trouvent égarés dans une virtualité hors de proportion, déconnectés de leur identité singulière, au nom d’un perfectionnisme obsessionnel (c’est bien sûr un pléonasme). Au point que je me dis souvent que le bon sens n’est plus de nos jours « la chose la mieux partagée » et que c’est notamment au professionnel de la relation d’aide à remettre les pendules à l’heure…d’un certain réalisme humain. 

V. de Gaulejac dénonce aussi une autre dérive gestionnaire : «Il existe une illusion de la motivation par les résultats, dans la mesure où les entreprises ne peuvent pas (ou ne veulent pas) assumer leurs propres engagements lorsque les employés vont « au-delà des attentes ».On révise les objectifs à la hausse en ce qui concerne les contributions demandées et à la baisse en ce qui concerne les rétributions proposées (…) les cadres et les employés ont ainsi le sentiment de ne plus contrôler leur environnement de travail et leur avenir. La menace consiste surtout à ne plus savoir sur quels critères reposent les récompenses et les sanctions. »
 

Ce type de management a des aspects pervers, disons-le, en soufflant  sans cesse « le chaud et le froid » sur les collaborateurs. Et pour le psychisme de certains, cela devient vite psychiquement très dommageable, s’il n’existe pas une compensation affective dans la sphère privée ou tout au moins, un ré-équilibrage par un accompagnement hors de l’entreprise. Sinon l’épuisement professionnel est proche…

Et le sociologue clinicien de constater : « Le burn out survient lorsqu’on s’est trop évertué à atteindre un but irréalisable. On est consumé de l’intérieur. L’appareil psychique est alors comme un élastique trop tendu.(…) Les work addicts développent un rapport d’assuétude au travail présentant les mêmes symptômes que les drogués. Dans un premier temps, l’hyperactivisme a des effets psychostimulants, où il y a un fantasme de fusion entre le Moi et son Idéal. Mais très vite, d’autres effets se font sentir comme l’impossibilité de se détendre, le besoin incoercible d’activité, la migraine du week-end, l’angoisse des vacances, l’affaiblissement des capacités créatrices et fantasmatiques. »

Toutefois, si l’on intervient à temps, ce processus de dépersonnalisation peut être stoppé : des signes avant-coureurs du burn out existent. L’irritabilité chronique, les maux dorso-lombaires, les céphalées à répétition, les « coups de barre » en journée liés aux insomnies nocturnes,  ainsi que la surconsommation d’excitants (café, sodas énergétisants, amphétamines,…) peuvent alerter l’entourage. A condition bien sûr que celui-ci ait été formé à les reconnaître et se montre vigilant. A condition aussi qu’un temps de récupération comprenant un ressourcement réel et adapté soit possible pour l’individu. A condition enfin que l’organisation prenne VRAIMENT la mesure – et pas seulement en termes de coûts, de présentéisme ou d’absentéisme – de ses propres facteurs de stress souvent intrinsèquement liés en effet à un excès gestionnaire, qui génèrent tant de ces dommages humains.

Helen Monnet
Selfarmonia